« La Révolution française » : entretien avec Philippe Pichot-Bravard

Afficher l'image d'origineLa Révolution française, de Philippe Pichot-Bravard.
Préface de Philippe de Villiers, éditions Via Romana, 294 pages, 2014. Disponible ici.

Jeune universitaire et auteur(1)docteur en droit et maître de conférences en histoire du droit public, il a aussi publié Le pape ou l’empereur : les catholiques et Napoléon III (Tempora, 2008), Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle) (LGDJ, 2011), Histoire constitutionnelle des Parlements de l’Ancienne France (Ellipses, 2012)., Philippe Pichot-Bravard est l’auteur d’un livre remarquable sur un sujet d’une importance considérable. Certes, les livres et même les bons livres ne manquent pas autour de cet épisode tragique aux conséquences incalculables, mais l’approche est ici renouvelée et offre une utile synthèse ainsi qu’une mise en perspective intéressante.
Rédigé dans un langage clair et suivant un plan chronologique, il est aisément accessible.

Il s’agit d’un ouvrage que nous recommandons dans le cadre d’une bonne formation historico-politique.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce thème ?

Je me suis toujours intéressé à la Révolution française. Depuis ma plus tendre enfance, je suis hanté par cette terrible tragédie. L’exécution de Louis XVI me plongeait dans des abîmes de perplexité. Ce crime m’apparaissait à la fois terrible et incompréhensible. Avec l’âge, je n’ai pas cherché seulement à connaître les faits et les acteurs mais aussi à comprendre les idées et les mentalités. J’ai cherché en particulier à résoudre la contradiction qui semblait opposer le discours humaniste des constituants de 89 et les horreurs qui ravageaient au même moment la France. La clé qui me permettait de résoudre cette énigme, je l’ai trouvée à l’Université, en deuxième année de droit, dans le cours d’histoire de la Pensée politique dispensé par le professeur Xavier Martin, très grand universitaire à l’égard duquel j’estime avoir une dette imprescriptible.

Il existe déjà une littérature abondante au sujet de la Révolution ; qu’apporte votre livre ?

Ce livre n’a pas pour ambition de raconter une nouvelle fois des anecdotes mille fois ressassées. Son ambition est d’intégrer à une relecture complète de la Révolution les travaux scientifiques particuliers qui ont permis, au cours de ces dernières décennies, de porter un regard neuf sur des aspects importants de l’histoire de la Révolution : ceux de Xavier Martin sur l’anthropologie des Lumières, ceux de Jean de Viguerie sur l’éducation, sur la religion, sur les idées politiques de Louis XVI, ceux de Reynald Secher sur l’extermination vendéenne, ceux de Mona Ozouf sur la régénération révolutionnaire, plus anciennement ceux, inachevés hélas, d’Augustin Cochin sur les sociétés de pensée. Nourris de ces travaux, et de la consultation assidue des archives parlementaires, j’ai tenté de faire comprendre ce qu’avait été la Révolution : la Révolution française a été une entreprise idéologique de construction d’un monde nouveau, de régénération de la société, et de régénération de l’homme.

Dans la chronologie que vous établissez, Descartes et le cartésianisme semblent constituer les prémices intellectuelles du phénomène révolutionnaire. Quel fut leur rôle ?

L’œuvre de René Descartes, et l’usage plus ou moins déformant qu’en ont fait ses disciples, a eu une influence décisive dans l’histoire des idées, dans l’histoire des mentalités et dans l’histoire des institutions. Le prestige intellectuel de Descartes a été considérable. Comme l’a montré Jean de Viguerie dans sa thèse, dès le commencement du XVIIIe siècle, les professeurs de philosophie des collèges adoptent l’enseignement de la méthode cartésienne au détriment de la méthode thomiste. Les élites furent, dès lors, formées à une autre logique intellectuelle ; elles eurent de plus en plus de mal à comprendre certains aspects du monde traditionnel dans lequel elles vivaient et devinrent plus réceptives aux idées nouvelles.
Descartes invite à faire table rase des connaissances acquises afin de redécouvrir la réalité des choses en faisant usage de la Raison humaine. La Raison est séparée de la Foi. Elle se fonde sur l’application de la méthode des sciences mathématiques à tous les domaines de la connaissance. La mise en œuvre de ces méthodes scientifiques permettra, croit-on, de trouver, infailliblement, la solution la plus adaptée, la plus rationnelle, à chaque situation. Un progrès constant vers la perfection découlera nécessairement de l’application de lois scientifiques. Comme l’a montré Frédéric Rouvillois, Descartes et ses disciples ont inventé le progrès, et le progressisme, c’est-à-dire la conviction que le monde, grâce aux sciences et techniques, se perfectionne peu à peu, que l’histoire a un sens, allant du moins bon vers le meilleur. A la veille de la Révolution, l’idéologie des Lumières prétend connaître les lois scientifiques qui permettront de construire un monde nouveau promettant à tous le bonheur. Les acteurs de la Révolution vont tout d’abord faire table rase du passé pour établir ensuite une organisation sociale rationnelle, agençant les intérêts individuels de sorte à rendre la vie sociale paisible. La présomption d’infaillibilité dont le scientisme revêt cette idéologie est la cause directe de la dérive totalitaire qui caractérisa très tôt la Révolution. Quelques décennies plus tôt, l’abbé de Saint-Pierre avait eu cette appréciation qui en annonçait le risque : « Quand le pouvoir est uni à la raison, il ne saurait jamais être trop grand et trop despotique pour l’utilité de la société ».

Ne peut-on remonter plus haut dans la généalogie idéologique révolutionnaire ?

Une révolution intellectuelle déterminante a marqué le deuxième quart du XVIIe siècle :

LIRE LA SUITE DE CE GRAND ENTRETIEN DANS  L’HÉRITAGE n°10 :

Notes   [ + ]

1. docteur en droit et maître de conférences en histoire du droit public, il a aussi publié Le pape ou l’empereur : les catholiques et Napoléon III (Tempora, 2008), Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle) (LGDJ, 2011), Histoire constitutionnelle des Parlements de l’Ancienne France (Ellipses, 2012).

Antonio de Oliveira Salazar – entretien avec Jean-Claude Rolinat

Antonio de Oliveira Salazar (1889-1970) fut le chef de l’Etat — nationaliste et catholique — portugais durant quarante-deux ans (record européen dans la catégorie des « méchants dictateurs »).
Réputé pour son humilité et son mode de vie particulièrement sobre, il a tenté de mener une politique conforme à la doctrine sociale de l’Eglise.
Au sujet de cette personnalité finalement assez peu connue, on avait surtout la biographie de Jacques Ploncard d’Assac.(1)Salazar, éditions DMM, 1983. 364 pages, 24 €. Disponible ici.
Elle vient d’être complétée par un ouvrage bref mais dense et fort instructif, signé de Jean-Claude Rolinat : Salazar, le regretté.(2)Editions Les Bouquins de Synthèse nationale, 2012. 164 pages, 18 €. Disponible ici.
Celui de Ploncard est sans doute plus détaillé et fait de longues considérations politiques qu’il est nécessaire de replacer dans le contexte de l’époque (il fut écrit au début des années 60) pour les comprendre. Il est assez précis et fournit beaucoup de détails vécus par l’auteur.
Afficher l'image d'origineLe livre de Jean-Claude Rolinat, récemment paru, est plus facile à lire. Il va à l’essentiel et permet de comprendre l’histoire du Doutor (il était ainsi appelé par ses partisans) ainsi que celle du Portugal du XXe siècle.
C’est un livre destiné à la « vulgarisation », aisément compréhensible. En dépit de ce que son titre peut laisser croire, il  ne s’agit pas d’une hagiographie mais d’un texte à la fois synthétique et précis sur l’homme, sa vie, son œuvre, sa politique, et, à travers tout cela, sur une page de l’histoire du Portugal.

Jacques Meunier

L’Héritage : d’où vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

Jean-Claude Rolinat : Oliveira  Salazar m’a toujours intéressé et  intrigué comme personnage historique. Au tout début des années soixante, alors que j’étais un très jeune adulte, l’Algérie française mourait. En même temps, les provinces portugaises d’outre-mer, selon la terminologie officielle de Lisbonne, étaient agressées par la subversion marxiste qui entretenait des guérillas naissantes : PAIGC en Guinée Bissau, UPA, puis MPLA prosoviétique et UNITA prochinoise (avant de devenir l’instrument des occidentaux comme le FNLA   d’ailleurs, lors de l’indépendance en 1975), sans oublier le FRELIMO au Mozambique. Le Portugal, héroïque petit pays à la tête d’un Empire gigantesque, multi-ethnique et pluri-continental, m’apparaissait alors comme le continuateur dans ses possessions de ce que nous avions raté dans les nôtres. J’étais jeune et je n’avais pas bien analysé à l’époque les rapports de force et les évolutions démographiques… Visitant ce pays à la pointe occidentale de l’Europe, je me suis plongé dans la lecture de sa…constitution, j’ai observé avec  attention le fonctionnement et l’évolution de ses institutions, j’ai lu « Salazar dans le texte », des écrits très Maurrassiens d’esprit, — d’ailleurs les deux hommes  ont entretenu une correspondance suivie —,bref dans l’ambiance gaulliste du désengagement français de son Empire, le Portugal me « vengeait » en quelque sorte par procuration !

Comment caractériseriez-vous le régime de Salazar et en quoi se distingue-t-il de ceux de Mussolini et Franco ?

Afficher l'image d'origineJ-C R. : La seule ressemblance avec le régime de Benito  Mussolini est dans l’adoption du corporatisme pour l’organisation économique et sociale. Même si l’Union Nationale, la future Action Nationale Populaire était de fait le parti unique comme pouvait l’être le Parti fasciste à Rome, la constitution portugaise restait dans la lettre une loi fondamentale d’esprit parlementaire, avec le jeu  rituel des élections. Pas de culte de la personnalité semblable à celui qui entourait le leader italien, contrairement à ce dernier peu de rassemblements de foules à haranguer. Même remarque vis-à-vis du franquisme, système politique reposant sur un homme fédérant toutes les tendances du Movimiento. Par contre, ce qui rapprochait les deux pays de la péninsule ibérique, c’était la place prépondérante de l’Eglise  dans la société, l’exaltation du patriotisme et un farouche anticommunisme.

Et comment caractériseriez-vous l’homme lui-même ?

J-C R. : Oliveira Salazar, né le  28 avril 1889  dans une famille modeste, était un intellectuel brillant, très pieux, austère et travailleur, d’une probité inattaquable,  cette dernière vertu étant sous nos cieux et à notre époque, vous me l’accorderez, plutôt rare ! Il avait une très haute idée de sa fonction. Appelé une première fois aux affaires par les militaires en 1926, il lui fallut attendre d’avoir les pleins pouvoirs en 1932 pour instaurer en mars 1933 l’Estado Novo après un plébiscite électoralement gagné. Le  pays sortait d’une longue crise politique après l’assassinat du Roi et de son héritier en 1908 et l’instabilité des gouvernements républicains successifs. De gré ou de force, il allait rendre le Portugal  gouvernable : « Les institutions et les lois doivent fonctionner de telle manière qu’elles obligent à être patriote quiconque ne l’est pas par discipline ou par vertu », disait-il. Vous imaginez les réactions si un responsable politique tenait un tel discours de nos jours ce qui dénote, en passant, la spirale de décadence dans laquelle nous tourbillonnons ! La vérité c’était que le Portugal était ingouvernable et qu’il lui fallait, pour progresser, un homme à poigne. Salazar fut cet homme-là. Solitaire tout en étant proche du petit peuple et contrairement au  général Franco qui industrialisa massivement l’Espagne, l’ancien séminariste, l’universitaire de Coïmbra qui craignait un monde ouvrier syndicalisé, un prolétariat revendicatif, misait plutôt sur la petite paysannerie : « un arpent de vignes et une paire de bœufs »…

Que pensez-vous de l’argument courant selon lequel le salazarisme a plongé ou maintenu le Portugal dans la pauvreté ?

LIRE LA SUITE DE CET ENTRETIEN DANS L’HÉRITAGE N°8 :

Notes   [ + ]

1. Salazar, éditions DMM, 1983. 364 pages, 24 €. Disponible ici.
2. Editions Les Bouquins de Synthèse nationale, 2012. 164 pages, 18 €. Disponible ici.