Antonio de Oliveira Salazar (1889-1970) fut le chef de l’Etat — nationaliste et catholique — portugais durant quarante-deux ans (record européen dans la catégorie des « méchants dictateurs »).
Réputé pour son humilité et son mode de vie particulièrement sobre, il a tenté de mener une politique conforme à la doctrine sociale de l’Eglise.
Au sujet de cette personnalité finalement assez peu connue, on avait surtout la biographie de Jacques Ploncard d’Assac.(1)Salazar, éditions DMM, 1983. 364 pages, 24 €. Disponible ici.
Elle vient d’être complétée par un ouvrage bref mais dense et fort instructif, signé de Jean-Claude Rolinat : Salazar, le regretté.(2)Editions Les Bouquins de Synthèse nationale, 2012. 164 pages, 18 €. Disponible ici.
Celui de Ploncard est sans doute plus détaillé et fait de longues considérations politiques qu’il est nécessaire de replacer dans le contexte de l’époque (il fut écrit au début des années 60) pour les comprendre. Il est assez précis et fournit beaucoup de détails vécus par l’auteur.
Le livre de Jean-Claude Rolinat, récemment paru, est plus facile à lire. Il va à l’essentiel et permet de comprendre l’histoire du Doutor (il était ainsi appelé par ses partisans) ainsi que celle du Portugal du XXe siècle.
C’est un livre destiné à la « vulgarisation », aisément compréhensible. En dépit de ce que son titre peut laisser croire, il ne s’agit pas d’une hagiographie mais d’un texte à la fois synthétique et précis sur l’homme, sa vie, son œuvre, sa politique, et, à travers tout cela, sur une page de l’histoire du Portugal.
Jacques Meunier
L’Héritage : d’où vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
Jean-Claude Rolinat : Oliveira Salazar m’a toujours intéressé et intrigué comme personnage historique. Au tout début des années soixante, alors que j’étais un très jeune adulte, l’Algérie française mourait. En même temps, les provinces portugaises d’outre-mer, selon la terminologie officielle de Lisbonne, étaient agressées par la subversion marxiste qui entretenait des guérillas naissantes : PAIGC en Guinée Bissau, UPA, puis MPLA prosoviétique et UNITA prochinoise (avant de devenir l’instrument des occidentaux comme le FNLA d’ailleurs, lors de l’indépendance en 1975), sans oublier le FRELIMO au Mozambique. Le Portugal, héroïque petit pays à la tête d’un Empire gigantesque, multi-ethnique et pluri-continental, m’apparaissait alors comme le continuateur dans ses possessions de ce que nous avions raté dans les nôtres. J’étais jeune et je n’avais pas bien analysé à l’époque les rapports de force et les évolutions démographiques… Visitant ce pays à la pointe occidentale de l’Europe, je me suis plongé dans la lecture de sa…constitution, j’ai observé avec attention le fonctionnement et l’évolution de ses institutions, j’ai lu « Salazar dans le texte », des écrits très Maurrassiens d’esprit, — d’ailleurs les deux hommes ont entretenu une correspondance suivie —,bref dans l’ambiance gaulliste du désengagement français de son Empire, le Portugal me « vengeait » en quelque sorte par procuration !
Comment caractériseriez-vous le régime de Salazar et en quoi se distingue-t-il de ceux de Mussolini et Franco ?
J-C R. : La seule ressemblance avec le régime de Benito Mussolini est dans l’adoption du corporatisme pour l’organisation économique et sociale. Même si l’Union Nationale, la future Action Nationale Populaire était de fait le parti unique comme pouvait l’être le Parti fasciste à Rome, la constitution portugaise restait dans la lettre une loi fondamentale d’esprit parlementaire, avec le jeu rituel des élections. Pas de culte de la personnalité semblable à celui qui entourait le leader italien, contrairement à ce dernier peu de rassemblements de foules à haranguer. Même remarque vis-à-vis du franquisme, système politique reposant sur un homme fédérant toutes les tendances du Movimiento. Par contre, ce qui rapprochait les deux pays de la péninsule ibérique, c’était la place prépondérante de l’Eglise dans la société, l’exaltation du patriotisme et un farouche anticommunisme.
Et comment caractériseriez-vous l’homme lui-même ?
J-C R. : Oliveira Salazar, né le 28 avril 1889 dans une famille modeste, était un intellectuel brillant, très pieux, austère et travailleur, d’une probité inattaquable, cette dernière vertu étant sous nos cieux et à notre époque, vous me l’accorderez, plutôt rare ! Il avait une très haute idée de sa fonction. Appelé une première fois aux affaires par les militaires en 1926, il lui fallut attendre d’avoir les pleins pouvoirs en 1932 pour instaurer en mars 1933 l’Estado Novo après un plébiscite électoralement gagné. Le pays sortait d’une longue crise politique après l’assassinat du Roi et de son héritier en 1908 et l’instabilité des gouvernements républicains successifs. De gré ou de force, il allait rendre le Portugal gouvernable : « Les institutions et les lois doivent fonctionner de telle manière qu’elles obligent à être patriote quiconque ne l’est pas par discipline ou par vertu », disait-il. Vous imaginez les réactions si un responsable politique tenait un tel discours de nos jours ce qui dénote, en passant, la spirale de décadence dans laquelle nous tourbillonnons ! La vérité c’était que le Portugal était ingouvernable et qu’il lui fallait, pour progresser, un homme à poigne. Salazar fut cet homme-là. Solitaire tout en étant proche du petit peuple et contrairement au général Franco qui industrialisa massivement l’Espagne, l’ancien séminariste, l’universitaire de Coïmbra qui craignait un monde ouvrier syndicalisé, un prolétariat revendicatif, misait plutôt sur la petite paysannerie : « un arpent de vignes et une paire de bœufs »…
Que pensez-vous de l’argument courant selon lequel le salazarisme a plongé ou maintenu le Portugal dans la pauvreté ?
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Notes
1. | ↑ | Salazar, éditions DMM, 1983. 364 pages, 24 €. Disponible ici. |
2. | ↑ | Editions Les Bouquins de Synthèse nationale, 2012. 164 pages, 18 €. Disponible ici. |